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Extrait du livre "L’insécurité nucléaire"

Grande Bretagne : 1957, drame à Windscale

vendredi 5 mai 2006, par ana duarte

Pendant 6 jours, du 7 au 12 octobre 1957, le centre nucléaire de Windscale, situé sur la côte nord-ouest de l’Angleterre, est le lieu d’un très grave accident nucléaire qui sera classé au niveau 5 sur l’échelle (dite INES) internationale des événements nucléaires. Sachant que Tchernobyl correspond au niveau 7, il est clair que l’accident de Windscale est un des plus graves de l’Histoire. Un incendie, qui dure plusieurs jours, endommage fortement un des réacteurs du site et d’importants rejets radioactifs ont lieu dans l’environnement. Aucune mesure d’évacuation n’a été prise, alors que l’accident était en cours et pouvait tourner à une catastrophe encore pire. Les riverains ne seront avertis qu’après coup. Des millions de litres de lait seront alors rejetés en mer d’Irlande, et la consommation de certains produits restera interdite pendant plusieurs semaines. Comme pour Tchernobyl trente ans plus tard, le nuage radioactif ne reste bien sûr pas sur place, porté par les vents. Il parcourt l’Angleterre, puis touche le continent sans que la population ne soit informée. Des travaux estiment de façons variables le nombre de victimes : de quelques salariés irradiés à plusieurs milliers de cancers induits. Difficile de savoir la vérité… d’autant qu’elle reste cachée : "L’ancien premier ministre conservateur britannique, Harold Macmillan, avait ordonné, il y a trente ans, d’étouffer un rapport détaillé sur les causes d’un grave incendie qui s’était produit à l’intérieur de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de Windscale." [1]

Windscale devient Sellafield pour "effacer" le passé

Comme souvent dans le nucléaire, la vérité est cachée et le passé effacé : Windscale est débaptisé et devient Sellafield. Ce site nucléaire s’est étoffé au fil des décennies et comprend aujourd’hui quatre cents bâtiments répartis sur 10 km2. C’est l’équivalent de La Hague en France. Outre le réacteur accidenté en 1957 et son frère jumeau, ainsi que quatre réacteurs eux aussi définitivement arrêtés, on trouve en particulier trois grosses installations :

  • Magnox, une première usine de retraitement ouverte en 1964. Elle est responsable de nombreux rejets radioactifs dans l’air et dans la mer. Elle devrait fermer en 2010.
  • Thorp (Thermal oxide reprocessing Plant), seconde usine de retraitement des combustibles et d’entreposage des déchets hautement radioactifs, ouverte en 1985. Elle est également responsable de très importants rejets occasionnés durant le processus de séparation des différents composants des déchets nucléaires. Gravement accidentée en 2005 (voir plus loin)
  • Sellafield Mox Plant (SMP) est ouverte en 1997 pour produire du combustible "mox" (qui contient du plutonium). En 1999, une première livraison de cinq tonnes de Mox est refusée par le Japon et renvoyée, après la découverte de documents falsifiés par BNFL, l’exploitant anglais. Les usines de Mox sont réputées pour rejeter dans l’environnement de grandes quantités de produits radioactifs.

Colère irlandaise

Depuis longtemps, les riverains s’inquiètent des conséquences sur leur santé de la présence du site nucléaire de Windscale/Sellafield. En 1983, un documentaire de la télévision britannique révélait que dans le village de Seascale, situé non loin de Sellafield, le taux d’enfants atteints de cancer était dix fois plus élevé que la moyenne nationale.

Il se trouve que les Irlandais sont eux aussi fortement menacés : moins de 200 km séparent la centrale et Dublin. Par ailleurs, de même que le nuage de Tchernobyl n’a pas été arrêté par les frontières, la radioactivité ne reste pas dans les eaux territoriales britanniques. Au contraire : les courant poussent les rejets vers l’Irlande. L’ouverture de l’usine SMP n’a fait qu’attiser la colère irlandaise. Le 24 novembre 2001, le principal parti, le Fianna Fail, achète une pleine page de publicité dans le Times de Londres, titrant "Fermez Sellafield", demande signée par 110 députés "Sellafield impose un risque inacceptable et non nécessaire" à l’environnement irlandais. Le premier ministre irlandais a clairement pris position : "Nous souhaitons indiquer clairement et directement au peuple britannique combien nous sommes préoccupés par les dangers auxquels sont exposées les populations de ces îles par les activités à Sellafield et, en particulier, par les nouvelles propositions concernant le Mox".

Tout comme le site français de La Hague, Sellafield est une des installations les plus polluantes et les plus dangereuses du monde.

Accident de l’usine Thorp en 2005

Le 20 avril 2005, une fuite est détectée à l’usine Thorp de Sellafield. Ce n’est pas une mince affaire : 83 000 litres de combustible liquéfié fortement radioactif, contenant pas moins de 19 tonnes d’uranium et 200 kg de plutonium, se sont écoulés. Incroyable : l’enquête a montré que cela faisait… neuf mois que la fuite avait commencé. Et plus de trois mois que la tuyauterie défaillante était totalement rompue ! Heureusement, le liquide est resté contenu dans l’installation. Mais il y avait un risque réel d’emballement nucléaire par réaction de criticité.

Les experts français de l’IRSN, qui ont mené à Thorp une inspection d’évaluation, expliquent : "la détection tardive de l’incident est liée à une série de défaillances humaines et organisationnelles : erreur lors d’une opération de contrôle du bon fonctionnement du système de détection de fuite implanté dans un des puisards de la cellule qui a abouti à un dysfonctionnement partiel de ce système, absence de prise en compte de nombreux signaux précurseurs pouvant laisser supposer l’existence d’une fuite (alarmes de niveau fugaces dans un des puisards, présence d’uranium dans les échantillons prélevés, augmentation de température dans le puisard de la cellule, écarts de bilan matières anormaux) ; il semble qu’un "excès de confiance" dans la conception de l’usine et qu’une culture de sûreté insuffisante soient à l’origine de ces défaillances." [2]

Pas très rassurant. Et dire que l’on nous vante si souvent le nucléaire occidental, tellement plus "sûr" que le nucléaire soviétique responsable de Tchernobyl…