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J’accuse… tous ceux qui ont encensé Anne Lauvergeon pendant 15 ans

Ils sont autant responsables qu’elle de l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la France

samedi 14 mai 2016, par Stéphane Lhomme

Areva est en faillite, le réacteur EPR n’en finit plus d’agoniser, des milliards d’euros se sont envolés, des factures probablement encore plus lourdes nous attendent mais, enfin, Anne Lauvergeon est mise en examen.

"Oups, j’ai tout raté !"

Loin de nous l’idée d’exonérer cette dame de ses graves fautes, nous espérons d’ailleurs qu’elle sera sévèrement condamnée. Mais nous éprouvons aussi une forte colère en constatant que se défilent tous ceux qui ont encensé "Atomic Anne" pendant 15 ans.

Politiciens de tous bords, syndicats aveuglés, sportifs "irradiés" par le sponsoring, éditorialistes hagiographes, tous sont co-responsables du désastre qui entraîne la France dans une impasse énergétique et financière.

Le 16 novembre 2004, sur le plateau de l’émission France Europe Express (*) animée par Mme Okrent, je passais pour un hurluberlu en accusant Mme Lauvergeon de piller l’uranium du Niger et de préparer de mauvaises surprises aux contribuables français en bradant le réacteur EPR à la Finlande.

Il faut dire qu’à cette époque, il était de bon ton de se pâmer devant la grande prêtresse de l’atome : elle avait "réhabilité le nucléaire" et fait "oublier Tchernobyl", elle luttait "contre le changement climatique" et "pour l’accès de tous à l’énergie" grâce à ses centrales, etc.

Et les reportages les plus flatteurs inondaient les antennes et les journaux sous les titres les plus improbables : Anne Lauvergeon a ainsi été tour à tour, "L’énergie du nucléaire", "La femme puissante", "La forte tête du nucléaire", "L’électron libre", "La reine de l’atome", etc.

Et ses "exploits" ont été contés jusqu’à plus soif : "Comment « Atomic Anne » a imposé Areva", "La femme que personne n’arrive à atomiser", etc. En 2007, c’est carrément à la Coupe de l’América que s’attaquait la dame sous les acclamations mais, était-ce un présage, son "Défi Areva " avait largement pris l’eau.

Pas de quoi inquiéter la Fédération française d’athlétisme qui, en 2009, passait un accord contre-nature (dans tous les sens du terme) avec Areva : il est bien connu que le nucléaire est excellent pour la santé et permet de courir, sauter et lancer vite, haut et loin.

Le 8 décembre 2007, nous étions fort peu à oser interpeller à Bordeaux Mme Lauvergeon pour laquelle le maire Alain Juppé avait déroulé le tapis rouge aux frais de la ville.

Le 12 novembre 2008, c’est parce que l’appel téléphonique était passé depuis Berlin (***) que j’avais à nouveau pu interpeller Mme Lauvergeon lors d’une de ses invitations à la matinale de France inter : enfin un peu de contradiction dans un océan d’unanimisme béat.

En avril 2009, une seule protestation contre l’augmentation de salaire de 33% que la dame s’était attribuée alors que, prémices de l’effondrement, la cotation d’Areva à la bourse de Paris avait perdu 55% en un an.

Depuis, les révélations les plus fracassantes se sont accumulées :
 comme prévu, l’EPR bradé à la Finlande est une affaire désastreuse pour laquelle les français vont devoir payer des milliards de pénalité.
 les investissements dans l’uranium en Afrique se sont révélés catastrophiques : la mine d’Imouraren, qui devait devenir "la plus grande du monde", n’a jamais été ouverte malgré les millions investis dans ce projet absurde.
 l’achat de la société Uramin, d’abord présenté partout comme une opération judicieuse, s’est révélé être à la fois une faute majeure et, finalement, une opération sulfureuse probablement marquée par la corruption.

Le présent texte n’a pas seulement pour objet de rappeler les errements du passé mais aussi de montrer que les mêmes fautes sont de mise aujourd’hui encore. Ceux-là même qui encensaient Anne Lauvergeon et ses actions "visionnaires" la lâchent aujourd’hui sans état d’âme et recommencent, comme si de rien n’était, à soutenir les projets nucléaires les plus absurdes.

Ce sont d’ailleurs parfois les même éditorialistes qui, après fait preuve du pire aveuglement pendant 15 ans, sont encore là aujourd’hui pour assurer que EDF doit construire deux EPR en Grande-Bretagne, que l’Andra doit enfouir les déchets nucléaires à Bure (Meuse), que la fusion nucléaire jaillira du projet Iter qui est pourtant lui aussi un désastre financier et scientifique.

Anne Lauvergeon n’est pas une "brebis galeuse" qui a failli et abîmé les perspectives "radieuses" de l’industrie atomique. La vérité est que "Atomic Anne" a joué le rôle qui lui était assigné par les "élites" politiques et industrielles.

Tous ces gens, sans oublier les éditorialistes, n’ont pas voulu voir que l’industrie nucléaire était en déclin irréversible avant même Fukushima, et continuent parfois à "y croire" malgré cette catastrophe qui démontre pourtant de façon "éclatante" la faillite de l’atome.

La mise en examen d’Anne Lauvergeon doit servir de révélateur et d’avertissement : les séides de l’industrie atomique seront sévèrement jugés, parfois par les tribunaux, à coup sûr par l’Histoire.

Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
Vainqueur d’Areva en justice :
http://www.observatoire-du-nucleaire.org/IMG/jpg/so-sl-bat-areva-appel-2.jpg

(*) https://www.youtube.com/watch?v=ZG9ObED5wMs
(**) http://bit.ly/24ZyEOt
(***) http://bit.ly/1smI05P

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